Nous sommes partis vers les 9 heures, après s’être réveillés à 8. Des tâches dorées éblouissantes léchaient le mur, reflet solaire de notre fenêtre, tirée de biais. Le mur paraissait bien foncé autour de ce blanc absolu, tonitruant, cybernétique. La veille au soir nous avions regardé « WorldBrain », et ce lendemain soir (d’hui) où j’écris, mes mots en sont encore empreints, ou imprégnés. Romain est jeune. Je vais faire en sorte d’éviter les comparaisons fruitières, qui seraient foireuses et malaisantes.

Je ne parlerai pas de maturité, ni de délice, ni de fraîcheur, ni de duveté … même si j’en ai un peu envie. Je dirais simplement ceci : avoir un être de sept ans de moins pour amoureux, quand on écrit, quand on vient juste de revenir dans la ville où l’on a grandi, que lui voyage, qu’il étudie la biologie, quand moi la vie je l’ai étudiée vraiment de biais, et vraiment la gueule dans Paris, ça fait chelou, mais ça fait beaucoup de bien aussi.

Romain croyait qu’il était 7, moi je savais qu’il était 8.

En se réveillant ce matin là, on sentait que dehors il faisait froid, que l’air était encore plus vif, encore plus sec et gelé que la veille. Et pas besoin de spéculoos ni même besoin de spéculer, pour percevoir d’ores et déjà qu’il faisait et ferait très beau. R. était torse nu, tout chaud, et moi j’avais les mains gelées, mais mes pieds s’étaient réchauffé, sans doute entre ses deux mollets, pendant la nuit. La veille au soir, j’avais était distante-bougonne et malaisée toute la soirée, parce que je n’ai pas su lui dire que j’avais besoin d’être célib, ce soir là. Il m’a demandé si on se voyait, et le « non » auquel je pensais, je ne l’ai pas assumé, et je ne lui ai pas dit ; et lui, gentil, naïf, aimant, il est venu me voir dans mon lit, alors que je lisais des articles. Je lui ai proposé de venir alors que j’en n’avais pas envie, grossière et enfantine erreur. Plutôt que de dire non j’ai dit oui, et mon corps a exprimé non toute la soirée. Je m’en rappelle pour la prochaine fois.

Nous nous sommes donc réveillés, le lendemain matin dans le lit. La chambre baignait dans le soleil.

Romain croyait qu’il était 7, moi je savais qu’il était 8.

Dans l’lit nous avons discuté des divers possibilités, alternatives au plan de base. Comme selon moi (qui suis lève-tôt) il était déjà très très tard, je suggérais que nous n’allions pas au Col de Vence, que nous ne prenions pas la voiture, mais que nous allions plutôt à pieds, « dans le quartier », soit vers la Gaude, soit direction chez Noël Giuge, le potentiel propriétaire de cette maison abandonnée que nous aimons et convoitons. Il fut décidé que nous gambaderions sur Vence, sans prendre la voiture du tout, que nous n’irions pas au Col, et que nous promènerions à pieds, afin, à terme, de voir Noël, de nous présenter, et ainsi de l’interroger.

On se levait.

Suis allée : pisser aux toilettes, me vêtir dans la salle-de-bain, j’ai pris mes baskets, les deux petites tasses d’infusion vides + la petite théière rouge pour pas qu’elles restent inusitée et seules en chambre, et puis nous sommes descendus.

Nous avons fait un peu de café, dans la cafetière à piston. Il fut quasiment décidé que nous prendrions un thermos plein, et quelques viennoiseries de la veille, afin de la manger quelque part sur le chemin qui descend en bas de la maison, vers d’autres maisons, vers la Lubiane, vers Vosgelade, et le village de la Gaude … le plaqueminier, et la maison abandonnée, ainsi que la ferme de Noël Giuge. Nous nous sommes donc assis dehors, et il fut presque décidé que nous boirions une tasse ici, et le reste en bas. Romain a cherché un thermos, avec la voix, en me demandant où est-ce qu’il était, et nous ne l’avons pas trouvé, parce que c’est Suni qui l’avait. Nous nous adaptâmes ra- pidement et décidâmes que nous engloutirions entier ce que nous possédions de liquide, de solide et de gazeux ici, sur place ici dans la maison. C’est ce que nous fîmes — non je rigole. Mais nous prîmes tout de même un petit déj’, assis au soleil avec guitare. Mais comme le vieux croissant de la veille, n’avais fait qu’éveiller l’appétit de mon très jeune et bel ami, il fut clairement décidé, que nous irions à la boulangerie pour chercher d’autres de ces délices. Les quelques viennoiseries de la veille devinrent les viennoiseries en ville, et c’était très très bien comme ça.

_ Tant qu’à faire à aller en ville, dis-je à Romain, autant aller prendre la voiture, et monter au Col de Vence, au moins faire un tour à la coopérative, même rapidement.

Il me dit oui, me répondit qu’on pouvait tout faire : aller au col et à la coop, puis redescendre, aller chez Noël, à la Gaude, à la ferme, revenir … Il n’avais pas tort mais mon corps sentait bien que c’était beaucoup. Alors ma tête, à ce moment là, a certainement exprimé quelque amusement sceptique, un tendre doute, mais j’acquiesçai, et nous partîmes.