Paul Preciado parle de la balle, j’aimerais m’attarder sur le trou.
Le trou dont on n’a pas bien su s’il était causé par une balle, dont on n’a pas retiré la balle.
Elle s’est dissoute. Elle a pourri…
On ne peut plus la retirer, ni la trouver, ni la sentir, ni même vraiment l’identifier. Le trou lui-même s’est refermé.
Paul Preciado parle de la balle qui a atteint les personnes trans, les enfants queer.
J’aimerais ajouter les navires dont la coque de bois est percée et par laquelle y’a d’l’eau qui rentre.
J’aimerais parler des êtres humaines aux entrailles ouvertes sur le monde, pour qui paraître est un métier,
parce qu’iels sont des bouées percées, qu’iels ont un trou au canoë, et que l’eau rentre, et accentue la gravité.
Je veux parler des gens qui coulent comme des bateaux criblés de trous
Celles et ceux dont l’âme est gelée, qui n’ont pas de scelle à leur vélo et sont toujours, intérieurement, comme
assis sur une barre tranchante.
Je veux parler des gens qui souffrent et soufflent dessus
des gens qui sont fêlés, fendus, et dans lesquels de l’air s’engou ff re.
Je parle des personnes perméables, bien trop sensibles, hautement variables, qui boivent leur environnement.
Je parle des enfants di ffi ciles, peureux, chelous ou égoïstes.
Je parle du cratère éternel, mais colmatable, des sans-logiques.
Je parle de ceux qui se déversent et qui contiennent, qui sont des vases communiquants.
Les lunatiques et les paumés, les divaguants professionnels, superficiels, les surfeuses nées.
On a des trous dans nos psychées, on part en couille, on coule au fond.
Et pourtant aussi comme tout l’monde, on a des trous dedans nos corps pour dialoguer avec le monde, et via
lesquels il entre en nous.
Ce sont nos nez, nos yeux, nos bouches, nos fions, nos tétons, nos oreilles et nos urètres.
Les sons, les goûts, la nourriture, les excréments, tous les messages qu’échangent nos corps avec le monde, avec
les autres, avec l’espace, les éléments autour de nous … passent par là et par nos pores. Des milliards de trous
invisible.
On est clos comme une vitre cassée
On stock nos graisses comme nos souvenirs dans nos cellules.
Notre cerveau n’est qu’un relais, un vieux transistor surréaliste, transformateur de formes en signes, et vis versa.
Nous sommes criblés dès la naissance, et naître c’est déjà du sport.
Et aux cours de nos vies violentes, nos corps parfois se criblent encore, se fêlent, se fendent et cassent encore.
On sera donc + chelous qu’avant, on planera alors à 10000
Certains trous ne se referment pas.
Certaines balles se dissolvent vite, pourrissent, grandissent et s’incorporent.On dit en français être « fêlé » pour être fou.
On dit du saint ou du chaman qu’il a accès.
On dit que Socrate accouchait les âmes des autres, et la sienne propre, qu’en faisait-il ?
On parle aussi de coeur brisé, de trou béant, et toujours le plus important : on parle de soif.
Notre vie est criblée de trous (trous de mémoire, true détective) et pas seulement des trous physiques.
On tombe parfois collectivement ou bien tout seul dans des crevasses métaphysiques.
Certaine personnes accumulent chutes, chocs et retraits,
Certaines personnes sont amputées intérieurement.
La morsure du temps fait son trou, mord comme l’acide
si on ne meurt pas, on cicatrise, et la vie recrée du tissu.
C’que j’voulais dire c’est qu’il me semble qu’on est nombreuses, qu’on est nombreux, à sentir comme un courant
d’air, des bourdonnements, des ondes radio, sans bien savoir par où ça passe, où est le trou, pourquoi j’entends ce
que j’entends.
Il me semble que beaucoup d’enfants ont cette faculté précieuse mais encombrante d’être sensibles à leur milieu,
et d’en capter toutes les fréquences.
Ils sont poreux, hyper-perméable à l’autour. Ils tombent facilement amoureux, et changent rapidement de sujet.
Ils et elles captent divers radio-activités, et vibrent avec. Si bien qu’ielles existent selon, dedans, avec.
Elles s’éprennent facilement d’un lieu, et se dissolvent dans le territoire.
iels sont ce dans quoi iels sont, iels sont l’eau et les poissons, et iels ont des écailles spongieuses.
iels sont en spermanence mangé.e.s par ce corps d’air tout autour d’eux
Dispersé.es, iels infusent dans le monde
Le milieu qui les environne les poinçonne comme des pucerons. iels ingèrent et sont ingéré.e.s ; et dans le tuyau
sont à la fois la goutte et l’air. Ils sont dans le monde comme un sachet de thé dans son eau. Des trous
microscopiques les recouvrent et par ces pores passent les comètes émises par le monde ; elles passent par les
trous de leurs peaux et les traversent. Un jour la neuroscience hardcore dira cela, le publiera, et on ne le
comprendra pas. Iels sont le monde, leur corps et toutes les particules autour. Iels sont les enfants de Saturne. iels
sont comme la musique, hyper-puissante et infernale. Iels sont le son, toutes les couleurs et les odeurs. Iels sont
l’air l’eau, le tumulte, l’émeute, la terre et l’océan.